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Sami Ben Ameur est enseignant à l’Ecole des beaux-arts de Tunis, mais il préfère se définir en tant qu’artiste peintre. Il expose une œuvre au Violon bleu dans le cadre d’une exposition collective de grand format intitulée «Feu et lumière» et une autre portant le titre «Violence bestiale» dans le cadre de la 4e biennale de la ville de Tunis.?
Par ailleurs, il anime sur les ondes de la Radio culturelle une émission sur les arts plastiques, «Haddatha al lawnou qal», et «Majaliss al founoun», un club au centre culturel de la ville de Tunis où l’invité, vendredi dernier, était Mustapha Chelbi qui vient de publier un album sur les arts plastiques en Tunisie. A cette séance, on a invité le président de l’Union des artistes plasticiens, Mongi Maâtoug, vu l’enjeu que constitue cet album sur l’art en Tunisie et son aspect critique.
Nous l’avons rencontré pour débattre de toutes ces questions cruciales. Interview.
Pensez-vous que votre qualité d’enseignant à l’Ecole des beaux-arts ait un effet sur votre activité de peintre?
J’ai choisi d’être dans le domaine des arts plastiques depuis mon jeune âge. Je suis professeur, mais aussi artiste peintre. Quand j’enseigne, j’apprends en apprenant à mes étudiants le fruit de mes recherches. Je prends plaisir à faire ce travail pédagogique enivrant qui fait appel non seulement à un savoir-savant, mais aussi à une approche que je nommerais de forme, de manière, de création et donc artistique.
En tant que chercheur qui a produit des écrits journalistiques, je me considère également, si l’on veut, comme critique.
Mais il va de soi qu’étant multiple, je ne cesse d’être un et quand je peins, c’est le professeur, le critique, le peintre avec toutes les strates de ma personnalité, de mon historicité, de mes fantasmes, de mes illusions, de mes rêves et de ma vision du monde qui s’expriment. Il faut faire la part des choses et quand je suis devant la toile blanche, l’angoisse que j’éprouve est humaine et pour reprendre un philosophe, je dirais que tout ce qui est humain, (entendez artiste), n’est pas étranger. Maintenant, je me consacre à ma peinture et je prépare une exposition pour la rentrée culturelle 2006-2007.
A propos, vous exposez une toile de grand format à la galerie le Violon Bleu intitulée «Feu et lumière». Cette œuvre a été vendue. Sachant que l’autorité de tutelle est l’acquéreur le plus crédible, que pensez-vous de cette reconnaissance qui vient du public?
Une œuvre d’art est un acte solitaire. Quand l’artiste est face à sa toile, tout son être est concentré sur l’extériorisation de ce qui le hante et l’obsède. Mais quand il expose son œuvre, quand il la livre au public, il est envahi par le doute, par l’angoisse de la réception de son œuvre auprès du grand public. Là, la reconnaissance est déterminante. S’il est bien reçu, il est sécurisé, rassuré et motivé. Il peut continuer avec toute l’assurance requise qui lui donne des ailes. Le ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine joue un rôle vital dans l’épanouissement des arts en Tunisie. Sa reconnaissance, traduite par l’acquisition d’une œuvre, est donc très importante. Mais quand l’acquéreur est un privé, cela constitue un plus et une motivation supplémentaire qui ne peuvent que renforcer l’attachement de l’artiste à son art. Face à l’œuvre, l’artiste fait fi du monde extérieur, mais l’œuvre accrochée aux cimaises d’une galerie est un médium qui fait que l’artiste cherche de tous ses vœux le partage. Partage de l’œuvre-production et de l’œuvre-réception et impact sur le spectateur potentiel. Je suis fier de toutes les œuvres acquises tant par l’Etat que par les privés. C’est un patrimoine qui me sert de plateforme d’échange et de dialogue avec le public. Je compose et je partage mes émotions avec ce background.
Vous exposez une autre œuvre dans le cadre de la 4e biennale méditerranéenne intitulée «Violence bestiale». Que diriez-vous si je vous demandais d’en faire une lecture, vous transformant à l’occasion en critique?
L’œuvre intitulée «Violence bestiale» met en scène des formes farouches focalisées en une congrégation quasi astrale, traduisant une scène lugubre sombrant dans une profondeur abyssale ignée où des jeux d’ombres et de lumières suggèrent la présence de forces occultes. Panique et débandade d’une focalisation-suggestion, formelle, planant au-dessous d’un trou noir sans fond, et invitant, à force de taches, de lignes brisées et agressives, à un voyage vers ce pays d’où l’on viendrait, et qui nous connaît et que nous désirons de tout notre instinct de vie et de plaisir. Mais qui nous angoisse malgré tout, car il flambe neuf de non-conformisme et d’innovations enivrantes et déconcertantes.
La surface de la toile, en all over, baigne dans une atmosphère calcinée, cendreuse et tragique. Rien n’est clair, rien n’est donné ipso facto. Serait-il une des configurations du tragique multiplié et propagé en notre for intérieur?
Serait-ce cet appel venu d’un ailleurs étrange, mais guère étranger, interpelant l’invisible par le médium du visible, de l’afocal par le truchement du focal livré tout de go?
Mystère et psychose atmosphérique où on redoute un futur à la fois menaçant, imminent et mystérieux sur fond d’inquiétude angoissée illustrée par l’air du temps, cette violence bestiale d’un monde trépidant qui met l’Homme face à son inquiétude existentielle.
Mustapha Chelbi vient de mettre sur le marché un album retraçant l’itinéraire des arts plastiques en Tunisie. Dans le cadre de “Majaless El Founoun” au centre culturel de la ville de Tunis que vous animez, vous avez présenté ce travail. Cela en valait-il la peine ?
Tout travail d’archivage et de mémoire des arts plastiques en Tunisie ne peut qu’être positif. L’album de Mustapha Chelbi s’inscrit dans cette perspective. Toujours est-il que nous devons assumer notre responsabilité de critique objective de ce travail avec l’idée que chaque personne est libre de produire l’œuvre qu’elle veut et qu’elle peut.
Dans cet album, il y a des lacunes que nous devons montrer du doigt, dans une perspective constructive:
— Mustapha Chelbi n’a pas réussi cette équation difficile entre le désir d’assurer à son album une efficience financière et une valeur scientifique certaine.
— Aucune œuvre ne porte de titre car le titre est l’identité de l’œuvre. Souriau disait «l’œuvre est une personne».
— Les dimensions des œuvres ne sont pas citées
— L’album réservé aux arts plastiques tunisiens intègre, gauchement, des artistes français. Ce qui fausse l’identité du projet en soi. Les crirères de sélection des œuvres ne sont pas nets car on opte pour des œuvres et des artistes de valeurs fort différentes. Le gain matériel ne peut, en aucune manière, servir de critère de choix pour une œuvre qui sert d’archive de l’art en Tunisie.
Nous croyons fermement que Mustapha Chelbi prendra ces critiques en considération pour la 2e édition de son album, surtout qu’il a reconnu qu’il voulait corriger le tir en se référant à l’Union pour plus d’objectivité et de rigueur.
Nous l’invitons également à faire appel à d’autres spécialistes et critiques des arts plastiques pour fignoler son travail et réussir à doter la Tunisie d’un document viable susceptible de servir de référence.
Sami Ben Ameur, vous animez une émission d’arts plastiques à la radio culturelle qui vient de démarrer.
Cette radio répond à une attente et nous sommes reconnaissants à Son Excellence le Président de la République d’avoir donné à la culture et aux hommes de la culture cette occasion inespérée susceptible d’ouvrir les horizons des débats autour de la culture, soutien du renouveau comme l’a affirmé le Président en personne.
J’ai été honoré par cette sollicitation de la part des responsables de cette radio pour animer une émission sur les beaux-arts intitulée: «Haddatha al lawnou qal».?
Avec M. Ahmed Laâdhiri, nous nous sommes mis d’accord pour que l’émission se déroule en deux volets: un volet où on déploie des concepts relatifs aux arts dans une perspective de sensibilisation et de vulgarisation, vu que les arts plastiques sont des arts élitistes. Et un deuxième volet intitulé : Rencontres, où on invite un artiste, un critique, un historien de l’art ou un chercheur pour débattre de problématiques artistiques à l’occasion d’une manifestation artistique majeure, d’une exposition, d’un livre publié, voire d’un article pertinent ou encore d’un travail de recherche académique fort instructif.
Dans cette émission, j’ambitionne de mettre au service des arts, les fruits de mon parcours d’enseignant, d’artiste, de critique et de président de l’Union des artistes plasticiens.?
La Presse