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Galerie CHIYEM
LE 2-6-89. Le Renouveau
Sami Ben Ameur
Le peintre, c’est celui qui fait des choses, dit-on de nos jours, c’est celui qui expérimente un matériau, tente sa chance et entre dans le monde de l’aventure. Une aventure qui n’a de sens que dans ce qu’elle cache, que dans ce qu’elle comporte de virtualité et de possibles imprévisibles.
Ce que nous propose R. Fakhfakh dans son exposition du 15 février dernier à la galerie Chiyem, est une aventure avec ses matériaux, ses outils et avec soi-même, une aventure mobile, féconde qui sollicite la richesse de notre attention et l’étendu de notre imaginaire.
En faisant créer des couleurs vives et bigarrer, maçonnées en touches et taches et traversées par une trace de gros traits de pinceau malhabile, les œuvres de R.Fackhfakh ont pris leur chemin vers l’expression de quelque chose qui participe de l’innommable, sollicite l’imagination et la pousse à vouloir donner corps à ce qui est inachevé, à prolonger les trajectoires interrompues.
Ça ressemble à quelque chose ? non, ça ne ressemble à rien du tout.
Le souci de l’artiste n’est pas la représentation. Son problème est autre.
R.F. et son œuvre ne peuvent faire qu’un seul. Elle est partie de soi-même. Elle illustre son corps, ses gestes, le contact de sa main avec le pinceau et la matière.
Sa main se livre à une action spontanée, trace, marque des gribouillis, entre en contact avec une matière, opère la surface du subjectile, enfante un poème.
La main, c’est le geste. Le geste est un besoin fondamental de la vie, il englobe l’infini et le fini, l’absolu et le possible. La fusion de la main et du geste suscite l’improvisation dans l’espace. Elle provoque la recherche de l’organique, du spontané, du fluide, de la dynamique, du mobile.
R.F. donne la parole libre et franche à ses matériaux, d’où l’éclat es couleurs des encres qui font souvent contraste avec les zones opaques et sombres peintes en gouache ou en acrylique. Le pastel à l’huile incompatible avec la couleur à eau s’insurge et donne un effet assez riche laissant apparaître une variété de métamorphoses.
Mais devant une ligne qui se trace, devant une tache qui se démarque, devant un chaos informel, RF s’exalte. Cela suscite son imagination.
Le rapport qu’entretient FF avec le matériau est assimilable à la maïeutique de Socrate. L’artiste accouche les matériaux des effets qu’ils contiennent. La qualité spirituelle et plastique de son œuvre est la conséquence de ce rapport dialectique qui l’entame avec l’œuvre.
L’accident s’oppose et s’impose. C’est ainsi qu’il revendique son droit de vivre. Il est signe de fertilité. En peignant, il se laisse guider par les exigences de la matière et du geste. Il devient son propre spectateur.
L’œuvre qu’il nous véhicule est une révélation de substance.
Les abondances de la couleur, le chaos qu’ils peuvent provoquer ainsi que la libération du geste semble constituer pour lui des moyens susceptibles d’atteindre l’inconscient et par-là de matérialiser en une forme picturale un état psychologique qui échappe au contrôle.
Le tracé libre, la spontanéité du geste favorisent une détente susceptible de provoquer l’affectivité inconsciente du peintre.
La main parle à l’aventure, mais au fur et mesure, la vision inconsciente commente ce qui se produit. Il s ‘établit entre la main et l’inconscient du peintre un rapport de va et vient.
A cet égard, encore, faut-il se rappeler les surréalistes qui ont mis au point un certain nombre de techniques, à savoir la libération du geste (automatisme) afin de favoriser l’irruption dans le cours de la vie psychique et d’exprimer le fonctionnement réel de la pensée en l’absence de tout contrôle de la raison et de tout à priori culturel et idéologique.
Dans ses œuvres, R.F. extériorise es forces psychiques cachées, témoignant parfois d’une nervosité atroce et dans d’autres cas d’un calme absolu à travers des tracés magiques traduisant le comportement involontaire de son corps.
Le corps du peintre transpose sur la toile des lignes, des mouvements investis d’images intérieures que l’esprit de l’artiste incorpore à sa manière, d’où cette rigueur de composition et d’organisation qui caractérise toutes ses œuvres.
Il s’établit comme une sorte de rêverie éveillée, mais une rêverie pas comme les autres, celles que nous vivions habituellement est encore plus riche et ceci à cause de cette action expressive et fertile qui lie l’esprit et le corps.
R.F. a pu contrôler sa spontanéité, mais il ne saurait la contrôler s’il ne lui a pas permis de s’exprimer.
Déclare-t-il la rupture avec sa démarche antérieure ?
Dans ses travaux sur le cube magique, il a cherché à travers des règles mathématiques, à instaurer l’équilibre logique et inévitable. Cette démarche participe d’une esthétique déductive qui adopte pour point de départ des hypothèses fixes, vérifiables tout au long du processus de création. Elle suppose une conclusion nécessaire, donc l’idée antérieure à l’activité.
L’œuvre que nous propose aujourd’hui R.F. est inductive, elle part des faits concrets dans l’expérience plastique, jusqu’à l’aboutissement concluant et progressif. Elle part général. Cette démarche suppose l’imprévisible, l’aventure et le risque.
Entre les eux démarches, le décalage est bien apparent. Avec sa nouvelle exposition, R.F. déclare la rupture avec sa démarche antérieure.