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Galerie Chiyem
La presse. Mars 1989
Dans l'activité picturale, l'esprit et le corps se livrent sans contrainte. C'est une symphonie silencieuse où les idées, la perception, l'attention, le rêve, l'imagination, la conscience, l'émotion etc. , sont traduits par le cerveau en mouvement de nerfs et de muscles. Agissant sur un matériau quelconque, ce mouvement déclenche le processus créatif. Désormais, il y a jaillissement, explosion, surgissement, naissance. L'esprit et la matière s'embrassent, font la fusion pour enfanter le nouveau-né: l’œuvre picturale.
Dans son exposition qui tient lieu à la galerie Chiyem, H. Bouabana nous invite à prendre contact avec son oeuvre picturale.
Une première lecture de celle-ci nous révèle un univers de tensions, une expressivité dotée d'un langage surchargé d'une prolifération infinie, forme à partir d'une déformation, figure qui participent de l'irrationnel, c'est le pathos, l'emphase, un climat morbide, une atmosphère d'angoisse et d'inquiétude.
L'objet dans la peinture de H.B. est déformé, sombré dans une atmosphère particulière.
Un préalable dans l'esprit du peintre surgit : l'objet doit perdre son identité propre. Désormais, il est détruit déformé, distordu, bref dépassé. Il y a figure et dépassement de la figure vers un autre ordre de représentation. L'objet perd ce droit d'être lui-même. Il s'agit d'une métaphysique des apparences. Au lieu de décrire, Bouabana évoque, au lieu de représenter, il transpose dans un langage allusif, elliptique, doté souvent d'une force intérieure.
Le dessin et la couleur ne sont pas dissociés. La géométrisation de la touche prépare à l’œuvre son destin : elle crée la forme. Il s'agit d'une volonté de synthèse de la forme et de la couleur.
Les grandes surfaces de couleur homogène qui caractérisent toutes ses oeuvres possèdent une valeur plus suggestive que descriptive. Ces couleurs sont violentes avec prédominance de jaune, de vert et de rouge. Mais aucune n'est utilisée à l'état pur. Les teintes se simplifient, se géométrisent et s'épurent. L'objet disparaît dans des couleurs dépouillées de toute lourdeur matérielle. Absence de clair-obscur, absence d'ombre portée, absence de perspective atmosphérique, tous les plans du tableau sont traités de la même manière, absence de source de lumière : la lumière émane des couleurs elles-mêmes.
Les surfaces peintes sont cloisonnées. Les couleurs sont disposées en aplat et cernées souvent par des contours expressifs, rehaussées parfois par des petites touches. Le peintre pose de larges aplats, celle-ci éclate avec intensité aussi bien dans ses paysages que dans ses portraits. La perspective, le modelé, les dégradés disparaissent d'où aplatissement des volumes.
A travers toutes ces données matérielles de l’œuvre. Il s'établit un dialogue supérieur avec l'objet, le dialogue de l'esprit et des choses.
Bouabana part d'une idée et dépasse le modèle, il fait sa propre peinture en s'écoutant soi-même. Un travail d'élaboration intellectuelle et d'effusion sentimentale. L'univers pictural de notre peintre est le domaine de ses fantasmes personnels. C'est une expression de sa vie intérieure. Il est trop présent dans chacune de ses oeuvres. Lorsqu'il amplifie tel membre des corps de ses femmes et en rétrécit tel autre, il veut faire ressortir ce qu'il lui importe d'exprimer.
L'objet extérieur et peu intéressant, le plus important, c'est la manière de mettre en oeuvre cet objet à travers une vision poétique d'essence picturale. Les têtes de ses maîtresses se réduisent à des figures apocalyptiques, monstrueuses.
Elles ne sont en fait que le reflet de ce qu'il sert, le produit de ses impatiences de ses déceptions et peut-être de son dégoût.
L'irrationnel est désormais à la base de l’œuvre de Bouabana, celle-ci est aussi un monde organique et fantasmatique imbibé de ses délires élémentaires.
Malgré qu'il refuse de s'intégrer à un quelconque mouvement contemporain H.B. est obligé d'accepter l'influence du groupe "Brück" allemand et des "Fauves". Il élabore un langage expressif à l'image de l'expressionnisme allemand et français en usant de leur technique spécifique : technique des aplats, cerne expressif, étirement stylisé des figures, les aplats rehaussée par des touches, etc..
Bouabana pensera-t-il dépasser cet héritage ? L'expressionnisme qui est un courant artistique universel et intemporel, retraçant une attitude de l'homme vis-à-vis du monde extérieur, est contre l'asservissement de l'esprit, l'encloisonnement, rétablit l'individu dans son pouvoir créateur, et lui prépare un champ d'investigation large.
Cependant Bouabana dispose de son atout. Sa peinture ne manque ni talent, ni force.