
-
menu
Sami Ben Ameur
La Presse/Jeudi 4 mars 99
Croyant sincèrement à ce qu’il fait, toujours résistant face à un goût conditionné par la nostalgie du passé qui rapporte aujourd'hui argent et succès, Habib Chebil, peintre d’une notoriété incontestable issu de la deuxième génération, homme de théâtre également, nous présente dans une exposition à la galerie Chiyem 2, quarante-huit œuvres peintes, synthèse de plusieurs années de recherches.
L’attraction presque physique au violet subtilement nuancé, la décomposition et la fragmentation de l’espace pictural, les aplats monochromes, le flou, l’illimité, l’ordre ambigu de l’indistinction, la distorsion et la déformation du corps, sont les axes autour desquels pivotent celles-ci.
En laissant sa brosse errer librement sur la surface de la toile, balayant des parties de ses surfaces fragmentées et rassemblées et en employant la couleur par masses larges en l’écrasant par un racloir et en les juxtaposant - d’où ses aplats monochromes soigneusement structurés- HC tire de ses tracés et de ses pâtes aplaties des indications formelles qui lui ouvrent la voie désormais à des formes jaillissant spontanément de la peinture même. C’est de la couleur qu’émergent ses signes figuratifs. Ceux-ci ne peuvent être qu’imprévisibles. Leur destin dépend du geste de peindre. Ainsi parvient-il à s’éloigner de leur représentation réaliste et à prospecter une synthèse du dessin et de la couleur.
A cet égard peut-on rappeler les silhouettes de N. de Staël émanant des couches multiples étalées au couteau et structurant rigoureusement la surface du tableau ou les compositions savantes aux surfaces géométriques de A. Magnelli.
La rude structuration de l’espace du tableau de HC, n’a pas empêché la musicalité de ses formes.
L’objet figuratif, accentué par des contours souples et gestuels, devient simple graphisme, débarrassé de toute sa matérialité.
La peinture de HC, véhicule une théâtralité du corps, régie par des exigences à la fois plastiques et pulsionnelles. Ses corps sont loin d’être une représentation figurative mais moyen d’expression traduisant une catégorie d’être et un abstrait affectif.
A travers ses empâtements diffus, ses coulées et ses «écrasis », il rend ses corps réellement méconnaissables et ambigus, muets et statiques. L’œuvre de HC dégage une atmosphère caractérisée par une passivité de ses personnages, impossible à identifier.
Le couple, thème souvent repris, est noyé dans un anonymat et une fixité accablante. Il se situe hors du temps. Ceci est-il l’expression du corps tabou, occulté par la morale sociale ? Le sexe, le plaisir bien qu’ils soient intrinsèquement ressentis, refusent par ailleurs de surgir et d’émerger. Est-il question d’une autocensure du peintre ou d’une aspiration romantique à l’absent ?
SBA