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Abderrazak Sahli : Du local à l’universel.

ARTICLE DE SAMI BEN AMEUR. La Presse 19 mars 99

 « Le peintre-chercheur  lutte contre son passé tout en y trouvant mille nourritures. Le plus important pour lui n’est donc pas de savoir (de rêver) où il va, mais de ne pas rester trop longtemps où il est ».R. Passeron. 

 Une fois de plus, Abderrazak Sahli,  nous met face à une œuvre fondée sur le questionnement et la remise en cause, face à une œuvre originale et actuelle.

Son exposition inaugurée le 05-03-99 à la galerie Ammar Farhat, est une reconfirmation de ce que nous avions affirmé : il est artiste de grand talent ayant les qualités de grand créateur.

 

De la toile de lin, au papier transparent au support en bois ajouré, au papier d’emballage (bacou), jusqu'à la toile de jute, axe principal de l’actuelle exposition, il ne cesse de se procurer une matière riche et féconde, à travers ses interrogations sur les possibilités plastiques et expressives de ses supports variés, devenant aussi matériaux.

L’œuvre peinte n’est-elle pas cette relation réciproque et dialectique entre d’une part, ses éléments matériels objectifs : supports, outil et matière et d’autre part, la subjectivité du peintre,  ses désirs,  sa vision et ses aspirations ?

Au milieu de ce siècle, Henri Focillon a déclaré que   « la matière impose sa propre forme à la forme ». Quant à  J.Dubuffet, il affirme que « l’homme doit parler, mais l’outil aussi et le matériau aussi », il ajoute, «le spiritualiste doit emprunter le langage du matériau ».

Simple coïncidence ou thème programmé ? F. Belkahia qui venait juste de clôturer son exposition dans le même espace, partage avec AS les mêmes soucis. Mais si la peau, support qui a  longuement saisi et caractérisé son œuvre, paraît satisfaire ses curiosités plastiques et artistiques, celles de AS au contraire, est en quête de l’expérimentation continue et de la découverte en permanence.

 

Du banal jaillit l’expression

Contrairement aux supports nobles et préalablement préparés qu’exige conventionnellement la peinture traditionnelle, Sahli se décide pour un support brut, voire pauvre, banal et quotidien.. Clin d’œil à l’ « Arte Povera » qui a refusé l’esthétisme et le bon goût en recourant aux matériaux précaires et dérisoires. Référence au mouvement « Support - Surface » ayant mis en évidence la matérialité du support et de la surface au détriment de la représentation.

Contrairement aussi aux sujets nobles et grands qu’exigeait la peinture du passé, il axe son intérêt sur les êtres et les objets courants, fréquents et généralement répandus : Chien, boites, olives, bougeoirs, masques, peignes, stylos, etc.

Du banal, jaillit l’expression. Tel est le leitmotiv caractérisant l’œuvre de AS.

La planéité du support

En faisant répartir uniformément ces objets en formes linéaires, AS assure par-là une densité égale sur toute la surface du tableau et confirme sa planéité et sa frontalité au détriment des autres systèmes reliés aux problèmes de la représentation. Les contours, isolant ses éléments formels, participent à marquer leur autonomie singulière, leur multiplicité ainsi que l’uniformité de la surface. Les volumes de ses d’objets divers contournés, deviennent par le fait de leur stylisation, silhouette, et par conséquent surface. Leur multiplicité suggère l’idée de l’infini. A cet égard faut-il se rappeler des personnages de Di Rosa ou de Combas - peintres appartenant à la « Figuration Libre »- constitués de cernes et d’aplats

 

Culture locale et environnement immédiat

Mais en puisant ses références dans les innovations de l’art contemporain occidental, AS trouve « mille nourritures » dans sa culture et dans son environnement immédiat :

Ses arabesques assurant la  bidimensionnalité de ses toiles et refusant la représentation et l’illusion d’une apparence perçue, nous renvoient de prime abord aux principes de l’art musulman et à ses règles d’organisation,  fondés sur les effets de voisinage et de juxtaposition.

Sa toile et ses sacs de jute, ses trames pointillées faisant allusion aux amas d’olives recueillies sur les toiles de jutes utilisées habituellement pour un tel usage, nous évoquent l’être que suggère l’olivier, cet arbre ancestral chargé de symbolique et cher à tout tunisien de tous les temps, mais aussi à tout méditerranéen.

Par ailleurs, ses objets ne sont pas de simples prétextes à la recherche de la picturalité. Au contraire, ils sont emblématiques. Ceux-ci remplissent son environnement le plus proche.  Sahli identifie sa peinture avec sa vie quotidienne en fouillant dans l’aspect banal et quotidien de ces objets et de ces êtres les plus familiers, afin d’en extraire la vie la plus intime et la plus sereine.

 

L’œuvre de AS est une synthèse de ses références aux actualités de l’art international, de sa mémoire culturelle et de son environnement le plus proche. Synthèse de ce que pourraient engendrer les rapports unissant, l’individu et le collectif, le local et l’universel.

 

De Ammar Farhat, symbole d’une génération fondatrice de la peinture dans notre pays, à Abderrazak Sahli, témoin d’une expression picturale actuelle, l’histoire de la peinture tunisienne s’articule et se construit avec ses nuances et ses contrastes dans cette galerie de la banlieue Nord de Tunis.

 Sami Ben Ameur


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L’exposition de Habib Chebil à la galerie Chiyem 2 : De la couleur jaillit la forme

Sami Ben Ameur

La Presse/Jeudi 4 mars 99

  Croyant sincèrement à ce qu’il fait, toujours résistant face à un goût conditionné par la nostalgie du passé qui rapporte aujourd'hui argent et succès, Habib Chebil, peintre d’une notoriété incontestable issu de la deuxième génération, homme de théâtre également, nous présente dans une exposition à la galerie Chiyem 2, quarante-huit œuvres peintes, synthèse de plusieurs années de recherches.

 

 L’attraction presque physique au violet subtilement nuancé, la décomposition et la fragmentation de l’espace pictural, les aplats monochromes, le flou, l’illimité, l’ordre ambigu de l’indistinction, la distorsion et la déformation du corps, sont les axes autour desquels pivotent celles-ci.

 

En laissant  sa brosse errer librement sur la surface de la toile, balayant des parties de ses surfaces fragmentées et rassemblées et en employant la couleur par masses larges en l’écrasant par un racloir et en les juxtaposant - d’où ses aplats monochromes soigneusement structurés- HC tire de ses tracés et de ses pâtes aplaties des indications formelles qui lui ouvrent la voie désormais à des formes jaillissant spontanément de la peinture même. C’est de la couleur qu’émergent ses  signes figuratifs. Ceux-ci ne peuvent être qu’imprévisibles. Leur destin dépend du geste de peindre.  Ainsi parvient-il à s’éloigner de leur représentation réaliste et à prospecter une synthèse du dessin et de la couleur.

A cet égard peut-on rappeler les silhouettes de N. de Staël émanant des couches multiples étalées au couteau et structurant rigoureusement la surface du tableau ou les compositions savantes aux surfaces géométriques de A. Magnelli.

La rude structuration de l’espace du tableau de HC, n’a pas empêché la musicalité de ses formes.

 L’objet figuratif, accentué par des contours souples et gestuels, devient simple graphisme, débarrassé de toute sa matérialité.

 

La peinture de HC, véhicule une théâtralité du corps, régie par des exigences à la fois plastiques et pulsionnelles. Ses corps sont loin d’être une représentation figurative mais moyen d’expression traduisant une catégorie d’être et un abstrait affectif.

A travers ses empâtements diffus, ses coulées et ses «écrasis », il rend ses corps réellement méconnaissables et ambigus, muets et statiques. L’œuvre de HC dégage une atmosphère caractérisée par une passivité de ses personnages, impossible à identifier.

Le couple, thème souvent repris, est noyé dans un anonymat et une fixité accablante. Il se situe hors du temps. Ceci est-il l’expression du corps tabou, occulté par la morale sociale ? Le sexe, le plaisir bien qu’ils soient intrinsèquement ressentis, refusent par ailleurs de surgir et d’émerger. Est-il question d’une autocensure du peintre ou d’une aspiration romantique à l’absent ?

SBA

 

 

 

 


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Exposition de Habib Bouabana Univers de tensions

Galerie Chiyem

La presse. Mars 1989

Dans l'activité picturale, l'esprit et le corps se livrent sans contrainte. C'est une symphonie silencieuse où les idées, la perception, l'attention, le rêve, l'imagination, la conscience, l'émotion etc. , sont traduits par le cerveau en mouvement de nerfs et de muscles. Agissant sur un matériau quelconque, ce mouvement déclenche le processus créatif. Désormais, il y a jaillissement, explosion, surgissement, naissance. L'esprit et la matière s'embrassent, font la fusion pour enfanter le nouveau-né: l’œuvre picturale.

Dans son exposition qui tient lieu à la galerie Chiyem, H. Bouabana nous invite à prendre contact avec son oeuvre picturale.

Une première lecture de celle-ci nous révèle un univers de tensions, une expressivité dotée d'un langage surchargé d'une prolifération infinie, forme à partir d'une déformation, figure qui participent de l'irrationnel, c'est le pathos, l'emphase, un climat morbide, une atmosphère d'angoisse et d'inquiétude.

L'objet dans la peinture de H.B. est déformé, sombré dans une atmosphère particulière.

Un préalable dans l'esprit du peintre surgit : l'objet doit perdre son identité propre. Désormais, il est détruit déformé, distordu, bref dépassé. Il y a figure et dépassement de la figure vers un autre ordre de représentation. L'objet perd ce droit d'être lui-même. Il s'agit d'une métaphysique des apparences. Au lieu de décrire, Bouabana évoque, au lieu de représenter, il transpose dans un langage allusif, elliptique, doté souvent d'une force intérieure.

Le dessin et la couleur ne sont pas dissociés. La géométrisation de la touche prépare à l’œuvre son destin : elle crée la forme. Il s'agit d'une volonté de synthèse de la forme et de la couleur.

Les grandes surfaces de couleur homogène qui caractérisent toutes ses oeuvres possèdent une valeur plus suggestive que descriptive. Ces couleurs sont violentes avec prédominance de jaune, de vert et de rouge. Mais aucune n'est utilisée à l'état pur. Les teintes se simplifient, se géométrisent et s'épurent. L'objet disparaît dans des couleurs dépouillées de toute lourdeur matérielle. Absence de clair-obscur, absence d'ombre portée, absence de perspective atmosphérique, tous les plans du tableau sont traités de la même manière, absence de source de lumière : la lumière émane des couleurs elles-mêmes.

Les surfaces peintes sont cloisonnées. Les couleurs sont disposées en aplat et cernées souvent par des contours expressifs, rehaussées parfois par des petites touches. Le peintre pose de larges aplats, celle-ci éclate avec intensité aussi bien dans ses paysages que dans ses portraits. La perspective, le modelé, les dégradés disparaissent d'où aplatissement des volumes.

A travers toutes ces données matérielles de l’œuvre. Il s'établit un dialogue supérieur avec l'objet, le dialogue de l'esprit et des choses.                  

Bouabana part d'une idée et dépasse le modèle, il fait sa propre peinture en s'écoutant soi-même. Un travail d'élaboration intellectuelle et d'effusion sentimentale. L'univers pictural de notre peintre est le domaine de ses fantasmes personnels. C'est une expression de sa vie intérieure. Il est trop présent dans chacune de ses oeuvres. Lorsqu'il amplifie tel membre des corps de ses femmes et en rétrécit tel autre, il veut faire ressortir ce qu'il lui importe d'exprimer.

L'objet extérieur et peu intéressant, le plus important, c'est la manière de mettre en oeuvre cet objet à travers une vision poétique d'essence picturale. Les têtes de ses maîtresses se réduisent à des figures apocalyptiques, monstrueuses.

Elles ne sont en fait que le reflet de ce qu'il sert, le produit de ses impatiences de ses déceptions et peut-être de son dégoût.

L'irrationnel est désormais à la base de l’œuvre de Bouabana, celle-ci est aussi un monde organique et fantasmatique imbibé de ses délires élémentaires.

Malgré qu'il refuse de s'intégrer à un quelconque mouvement contemporain H.B. est obligé d'accepter l'influence du groupe "Brück" allemand et des "Fauves". Il élabore un langage expressif à l'image de l'expressionnisme allemand et français en usant de leur technique spécifique : technique des aplats, cerne expressif, étirement stylisé des figures, les aplats rehaussée par des touches, etc..

Bouabana pensera-t-il dépasser cet héritage ? L'expressionnisme qui est un courant artistique universel et intemporel, retraçant une attitude de l'homme vis-à-vis du monde extérieur, est contre l'asservissement de l'esprit, l'encloisonnement, rétablit l'individu dans son pouvoir créateur, et lui prépare un champ d'investigation large.

Cependant Bouabana dispose de son atout. Sa peinture ne manque ni talent, ni force.


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L’AVENTURE DE FAKHFAKH.

 

 Galerie CHIYEM

LE 2-6-89. Le Renouveau

Sami Ben Ameur

 Le peintre, c’est celui qui fait des choses, dit-on de nos jours, c’est celui qui expérimente un matériau,  tente sa chance et entre dans le monde de l’aventure. Une aventure qui n’a de sens que dans ce qu’elle cache, que dans ce qu’elle comporte de virtualité et de possibles imprévisibles.

Ce que nous propose R. Fakhfakh dans son exposition du 15 février dernier à la galerie Chiyem, est une aventure avec ses matériaux, ses outils et avec soi-même, une aventure mobile, féconde qui sollicite la richesse de notre attention et l’étendu de notre imaginaire.

En faisant créer des couleurs vives et bigarrer, maçonnées en touches et taches et traversées par une trace de gros traits de pinceau malhabile, les œuvres de R.Fackhfakh ont pris leur chemin vers l’expression de quelque chose qui participe de l’innommable, sollicite l’imagination et la pousse à vouloir donner corps à ce qui est inachevé, à prolonger les trajectoires interrompues.

Ça ressemble à quelque chose ? non, ça ne ressemble à rien du tout.

Le souci de l’artiste n’est pas la représentation. Son problème est autre.

R.F. et son œuvre ne peuvent faire qu’un seul. Elle est partie de soi-même. Elle illustre son corps, ses gestes, le contact de sa main avec le pinceau et la matière.

Sa main se livre à une action spontanée, trace, marque des gribouillis, entre en contact avec une matière, opère la surface du subjectile, enfante un poème.

La main, c’est le geste. Le geste est un besoin fondamental de la vie, il englobe l’infini et le fini, l’absolu et le possible. La fusion de la main et du geste suscite l’improvisation dans l’espace. Elle provoque la recherche de l’organique, du spontané, du fluide, de la dynamique, du mobile.

R.F. donne la parole libre et franche à ses matériaux, d’où l’éclat es couleurs des encres qui font souvent contraste avec les zones opaques et sombres peintes en gouache ou en acrylique. Le pastel à l’huile incompatible avec la couleur à eau s’insurge et donne un effet assez riche laissant apparaître une variété de métamorphoses.

Mais devant une ligne qui se trace, devant une tache qui se démarque, devant un chaos informel, RF s’exalte. Cela suscite son imagination.

Le rapport qu’entretient FF avec le matériau est assimilable à la maïeutique de Socrate. L’artiste accouche les matériaux des effets qu’ils contiennent. La qualité spirituelle et plastique de son œuvre est la conséquence de ce rapport dialectique qui l’entame avec l’œuvre.

L’accident s’oppose et s’impose. C’est ainsi qu’il revendique son droit de vivre. Il est signe de fertilité. En peignant, il se laisse guider par les exigences de la matière et du geste. Il devient son propre spectateur.

L’œuvre qu’il nous véhicule est une révélation de substance.

Les abondances de la couleur, le chaos qu’ils peuvent provoquer ainsi que la libération du geste semble constituer pour lui des moyens susceptibles d’atteindre l’inconscient et par-là de matérialiser en une forme picturale un état psychologique qui échappe au contrôle.

Le tracé libre, la spontanéité du geste favorisent une détente susceptible de provoquer l’affectivité inconsciente du peintre.

La main parle à l’aventure, mais au fur et mesure, la vision inconsciente commente ce qui se produit. Il s ‘établit entre la main et l’inconscient du peintre un rapport de va et vient.

A cet égard, encore, faut-il se rappeler les surréalistes qui ont mis au point un certain nombre de techniques, à savoir la libération du geste (automatisme) afin de favoriser l’irruption dans le cours de la vie psychique et d’exprimer le fonctionnement réel de la pensée en l’absence de tout contrôle de la raison et de tout à priori culturel et idéologique.

Dans ses œuvres, R.F. extériorise es forces psychiques cachées, témoignant parfois d’une nervosité atroce et dans d’autres cas d’un calme absolu à travers des tracés magiques traduisant le comportement involontaire de son corps.

Le corps du peintre transpose sur la toile des lignes, des mouvements investis d’images intérieures que l’esprit de l’artiste incorpore à sa manière, d’où cette rigueur de composition et d’organisation qui caractérise toutes ses œuvres.

Il s’établit comme une sorte de rêverie éveillée, mais une rêverie pas comme les autres, celles que nous vivions habituellement est encore plus riche et ceci à cause de cette action expressive et fertile qui lie l’esprit et le corps.

R.F. a pu contrôler sa spontanéité, mais il ne saurait la contrôler s’il ne lui a pas permis de s’exprimer.

Déclare-t-il la rupture avec sa démarche antérieure ?

Dans ses travaux sur le cube magique, il a cherché à travers des règles mathématiques, à instaurer l’équilibre logique et inévitable. Cette démarche participe d’une esthétique déductive qui adopte pour point de départ des hypothèses fixes, vérifiables tout au long du processus de création. Elle suppose une conclusion nécessaire, donc l’idée antérieure à l’activité.

L’œuvre que nous propose aujourd’hui R.F. est inductive, elle part des faits concrets dans l’expérience plastique, jusqu’à l’aboutissement concluant et progressif. Elle part général. Cette démarche suppose l’imprévisible, l’aventure et le risque.

Entre les eux démarches, le décalage est bien apparent. Avec sa nouvelle exposition, R.F. déclare la rupture avec sa démarche antérieure.

 

 

 

 

 

 


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